Le libre arbitre existe-t-il ?
J’entends souvent la phrase : « je suis libre de faire mes choix ! » C’est une phrase qui a toujours éveillée mon intérêt… Après tout, comprenons-nous vraiment le mécanisme qui se met en route lorsque nous faisons un choix ?
Etes-vous sûr de comprendre votre fonctionnement ? Etes-vous sûr de comprendre qui vous êtes vraiment et ce qui régit vos actions ?
Faites-vous la différence entre votre fonctionnement conscient et celui, plus caché qui serait inconscient ?
En bref… Le libre arbitre existe-t-il ? Nous pouvons nous le demander, face aux expériences diverses tentant d’expliquer nos choix et comportements.
Nous allons dans un premier temps passer en revue quelques expériences qui vont mettre en évidence des comportements inconscients que vous allez vite reconnaître.
La première expérience marquante est celle de l’Université de Yale, aux Etats-Unis, reprise par la suite par des scientifiques Suisses. Cette expérience montre que les bébés de 6 mois sont capables de faire la différence entre le bien et le mal, mais pas que…
Dans un premier temps, une scénette est montrée à des bébés, dans laquelle 3 peluches jouent. Un petit chat essaye d’ouvrir une boîte, un petit chien bleu va l’aider et un autre, jaune, va l’en empêcher. Les deux peluches bleues et jaunes vont ensuite être proposées à l’enfant. Dans plus de 80% des cas, les bébés vont choisir de serrer contre eux la peluche bleue, qui est le petit chien aidant, coopératif. Nous voyons donc là un comportement plutôt rassurant d’un choix allant vers « le bien ». Mais l’expérience va se corser ! Dans un deuxième temps on demande à l’enfant de choisir entre deux aliments, puis les peluches vont choisir devant lui chacun l’un des aliments. La même scène est jouée et on fait choisir à l’enfant, comme dans la première expérience, quelle peluche il préfère. A plus de 80% les bébés vont choisir la peluche qui a mangé comme lui ! Cette fois, le critère n’est plus le bien ou le mal mais la ressemblance. Donc, première conclusion, vos choix inconscients vont porter vers ceux qui vous ressemblent, un peu à la manière des supporters de foot !
La deuxième expérience est celle de Stanley Milgram, réalisée entre 1960 et 1963. Cette expérience porte sur le degré d’obéissance à l’autorité. Où se situe votre degré de conscience au sujet face à la soumission à l’autorité ? Milgram a choisi un groupe d’étudiants qui ont joué les victimes, branchés à de fausses électrodes. Un autre groupe d’étudiants, non complices, était placé de l’autre côté. Ils devaient infliger des décharges électriques au sujet. Les décharges, au départ faibles, montaient en intensité de plus en plus au fil de l’expérience. Les complices se tordaient de douleur et la (fausse) décharge continuait de monter jusqu’à être létale. Seuls 10% des cobayes testés ont désobéi ! Surprenant non ?
Et vous, qu’auriez-vous fait ? Si nous recoupons les deux expériences, il est à parier que le phénomène de reconnaissance à un groupe ou pas à, en plus, joué sur cette soumission à l’autorité. Imaginez toujours des supporters de foot, si en face il s’agit d’un supporter adverse ou du même groupe, la soumission serait-elle la même ?
L’expérience suivante est l’effet Lucifer, ou expérience de Stanfort. Elle démontrait que le comportement de personnes ordinaires était fonction de l’environnement plutôt que de la personnalité des participants. En gros, cela prouve que notre comportement est inconscient et ne dépend malheureusement que du contexte, la plupart du temps. Cette expérience s’est déroulée en 1971 sous la direction de Philip Zimbardo. Elle mettait en scène une situation carcérale, des étudiants jouant pour les uns le rôle des gardiens et pour les autres celui de prisonniers. Les résultats furent effrayants. Chacun est rentré si bien dans son rôle qu’un tiers des gardiens fit preuve de comportements sadiques et deux des prisonniers furent retirés en urgence avant la fin de l’expérience, traumatisés. Une seule participante parmi les 50 cobayes s’opposa à la poursuite de l’expérience pour des raisons morales !!!! Le professeur Zimbardo dut arrêter l’opération en urgence au bout de 6 jours seulement au lieu des 2 semaines prévues. Cette expérience a soulevé de nombreux débats éthiques mais je la trouve très riche d’enseignement. Il est impossible de ne pas la rapprocher à la fois de l’expérience de Milgram et des événements douloureux de la Seconde Guerre mondiale. Sortis des camps, de nombreux gardiens dirent qu’ils n’avaient fait qu’obéir. La soumission à l’autorité alliée à l’environnement particulier ont transformé en bourreaux des humains qui dans d’autres conditions auraient été de bons pères de famille. Cela n’excuse rien, mais pose la question du comportement inconscient et renvoi à soi. Encore une fois, quel est notre propre comportement, qu’aurions nous fait ? Bien plus proche de nous, j’ai vu souvent, en entreprise des personnes qui paraissaient charmantes au demeurant, infliger des souffrances psychologiques et se transformer en harceleur sous l’autorité d’un manager pervers. Elles pourraient faire autrement mais elles choisissent de laisser ressortir des aspects terribles de leur humanité. Mais nous évoquerons cela dans un autre chapitre de cet ouvrage.
Vous comprenez maintenant un peu mieux pourquoi nous pouvons nous demander si le libre arbitre existe.
Maintenant, examinons l’expérience faite par une institutrice américaine, Jane Elliot, activiste anti-raciste, au lendemain de l’assassinat de Martin Luter King. Le but de cette éducatrice était de lutter contre les discriminations. Un matin, elle arrive en classe et déclare que les enfants aux yeux bleus sont supérieurs et leur octroi des privilèges, tout en mettant au cou des enfants aux yeux marrons des cols de tissus brun en les faisant assoir au fond de la classe. Au début, les enfants discriminés résistent. Cette résistance s’évanouie quand l’institutrice explique que les yeux bleus sont la marque scientifique d’une intelligence supérieure. Les enfants aux yeux claires changent alors leur comportement et deviennent arrogants face à leurs amis de la veille. Les autres enfants deviennent alors timides et soumis y compris ceux qui était leader la veille. Leurs performances scolaires chutent alors immédiatement. Le lundi suivant, Elliot renverse les rôles. Les enfants aux yeux marrons deviennent supérieurs. Elle affirme qu’elle s’est trompée et reproduit l’expérience toute la matinée. En début d’après-midi, elle avoue que ni l’une ni l’autre de ses affirmations n’est vrai et il s’en suit un débat et une demande de rédaction de leurs expériences. J’ai vu une interview d’un homme, aux yeux bleus, aujourd’hui adulte d’âge mûr, qui se souvient de cette expérience et de la honte qu’il ressent encore aujourd’hui d’avoir traité avec mépris ses amis, se demandant encore comment il avait pu faire pour agir ainsi. Le fait qu’il était un enfant n’est absolument pas une raison suffisante pour expliquer cela. Les adultes se conduise en général de la même façon.
Je vais vous parler d’une dernière expérience qui peut faire froid dans le dos, mais qu’il est intéressant de connaître, de mon point de vue. Il s’agit d’une expérience menée par le professeur d’histoire Ron Jones en Avril 1967 sur des élèves de première du lycée Cubberley, en Californie. Il n’arrivait pas à expliquer à ses élèves comment les citoyens allemands avaient pu se laisser prendre aux principes du parti nazi et comment ils avaient pu ne pas réagir au génocide de populations entières. Sachant qu’il ne faut pas faire d’achronie en matière d’hitoire, Ron Jones décida donc d’organiser une mise en situation. Il fonda un mouvement nommé « la 3èmevague » dont l’idéologie était basée sur les mérites de la discipline totale, de l’esprit et du corps. Cette idéologie visait la destruction de la démocratie considérée comme néfaste car elle place l’accent sur l’individu plutôt que sur la communauté[1]. L’expérience s’est déroulée sur une semaine.
Le lundi, Jones fait un exposé sur la discipline, démontrant qu’elle est essentielle pour les athlètes, artistes et scientifiques (des êtres d’exception, en somme), il explique comment, pas la maîtrise de soi, la discipline assure la réussite des projets. Viennent ensuite les travaux pratiques. Il impose une position assise facilitant la concentration et la volonté : pieds à plat sur le sol, dos droit, mains croisées derrière le dos. Il impose cette position à ses élèves et s’assure de leur obéissance. Il met ensuite en place un protocole d’entrée et de sortie de la salle de classe, dans le silence et la rapidité, puis pour répondre aux questions : les élèves doivent se lever, commencer leur réponse par « Monsieur Jones » et répondre de manière concise, en quelques mots seulement. La classe est conclue par une séance de questions réponses intense. Résultat : les élèves se sentent stimulés et motivés.
Le mardi, les élèves sont déjà dans une position d’attente. Jones passe à la suite de son plan. Il inscrit au tableau la devise de son mouvement : « La force de la discipline, la force par la communauté ». La communauté ayant un but commun au-delà de l’individu. Jones ordonne ensuite aux élèves de réciter la devise du mouvement, d’abord l’un après l’autre, puis par groupe de deux ou trois, puis toute la classe à l’unisson. Les élèves se sentent donc maintenant faire partie d’un groupe. A la fin de l’heure Jones apprend à ses élèves à faire un salut, signe d’appartenance au groupe, ils amènent la main droite à hauteur de l’épaule droite, les doigts arrondis en forme de coupe… Salut utilisé par les nazis, ce que ne peuvent pas savoir ces adolescents. Il nomme le mouvement, « la 3èmevague », expliquant que les vagues vont toujours par trois, et la troisième étant toujours la plus forte. Il omet de faire référence alors au 3èmeReich…
Mercredi, Jones se retrouve avec 13 élèves de plus dans son cours. Il distribue des cartes de membres aux élèves participant au mouvement. Parmi les cartes, trois sont marquées d’un X rouge. Les membres porteurs de ces cartes vont avoir des missions particulières, dont celle de dénoncer les membres qui ne respectent pas les règles. Il fait ensuite un second exposé sur l’action, unique but de la discipline et la communauté. Jones commence à être surpris de l’engouement de ses élèves qui montrent leur contentement à ses dictats. Ils se montrent plus assidus et efficaces en classe. L’égalité mise en place dans le groupe permet aux plus timides de prendre de l’assurance. Mais dans le même temps Jones note dans leurs réponse une perte de leurs aptitudes à argumenter et à une perte de leur sens critique. L’expérience continue tout de même et Jones ordonne de dessiner la bannière du mouvement. La situation empire. La moitié des élèves en dénoncent d’autres et des menaces fusent vers ceux qui se moqueraient du mouvement. Les élèves les plus médiocres sont les plus assidus au mouvement, y trouvant là une possibilité de reconnaissance qu’ils n’avaient pas avant, alors que les élèves les plus doués supportent mal l’égalitarisme forcé du cours. A la fin de la journée un élève décide même de devenir le garde du corps personnel du professeur, qui accepte.
Le jeudi, la salle de classe de Jones a été vandalisée par un père, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et ancien prisonnier de guerre. Le lycée est particulièrement dérangé par cette expérience car bon nombre d’élèves sèchent leur cours pour se rendre à celui de Jones ! Pire, une police secrète s’organise autour des principes de délation et de peur. Jones décide de préparer la fin de l’expérience avant qu’elle ne dégénère plus. Il fait une conférence sur la fierté et annonce que le mouvement n’est pas seulement une mise en situation dans le cadre du lycée mais un projet d’ampleur nationale destiné à modifier la société américaine. Il prétend alors que d’autres enseignants, comme lui, ont fondé des mouvements du même nom dans le pays et que le lendemain, le leader national de 3èmevague s’adressera à eux à midi précises. Il demande donc aux élèves d’organiser, en 24 heures cette réunion.
Vendredi, les élèves affluent dès 11h30. 200 étudiants assistent à la réunion !!!! Des amis et complices de Jones sont là, déguisés en journalistes. Ils prennent des notes et des photos. A midi, les portes sont fermées et des gardes sont postés. Sous les yeux éberlués de ses amis, Jones démontre l’obéissance aveugle des jeunes gens. Ils saluent, récitent la devise du mouvement. A 12h30, l’écran s’allume pour le discours du leader… Quelques minutes de silence, puis de stupeur devant la neige de l’écran. L’expérience est finie.
Ron Jones va alors effectuer un douloureux débriefing, visionnant des images du 3èmeReich. Il explique la manipulation dont ils ont été victimes ! Sans même s’en rendre compte, ils ont perdu leur libre arbitre et ont versé dans le totalitarisme, et tout ça en moins d’une semaine ! La figure d’autorité que représente le professeur a également aidé à cela, mais tout de même, voilà matière à réfléchir !
Quant à Jones, il a déclaré que cette expérience a été l’un des événements les plus effrayants qu’il ait vécu dans une salle de classe. Il a cependant réitéré l’expérience, mais la limitant à une seule journée pour démontrer le phénomène à ses élèves, l’année suivante, dans son cours sur la Chine des années 1900.
Je vous rassure, le libre arbitre existe !
Dans quelles conditions pouvons-nous être sûrs de notre choix ? Nos choix vont s’appuyer sur notre inconscient, donc, sur nos peurs, nos croyances personnelles, nos besoins de reconnaissance, nos réponses émotionnelles, nos blessures ou encore nos traumatismes. Vous comprenez maintenant l’importance de notre conscience d’exister et de notre connaissance de nous-même dans nos choix… Dans notre libre arbitre… Nous pouvons nous rendre-compte également que nous passons notre vie à faire des suppositions et du coup notre comportement peut être influencé par ces suppositions. Par exemple, imaginez-vous au bureau et qu’un collègue rentre sans vous saluer. Allez-vous vous dire « Il ne même pas », « il se fout des autres ? » ou toute autre réflexion ainsi ? Peut-être que sa femme lui a avouée son départ ou que sa grand-mère est passée sous un bus… Peut-être qu’il est simplement préoccupé sans que vous en soyez la cause. Nous avons plus de libre arbitre quand nous restons factuels car nous ne mêlons pas nos émotions, ainsi, à nos choix de comportement ou d’action.
Comprendre notre fonctionnement et le fonctionnement des autres et un bon début pour éviter de tomber dans le piège de manipulations, qu’elles soient individuelles ou collectives, ou les pièges de notre propre égo.
Le meilleur garant de la démocratie et de la liberté d’une société est l’éveil et l’accès à connaissance de ses membres. L’un de mes professeurs, il y a longtemps de cela, nous avait dit une phrase qui m’est restée : « Demandez-vous toujours à qui cela profite que vous croyez cela… » Sans que cela ne devienne une obsession, de temps en temps, il est intéressant de modifier son positionnement pour mieux comprendre une situation !
Nous avons le choix, beaucoup plus, en général, que nous le pensons, et finalement peut-être que d’avoir un véritable libre arbitre demande un peu d’effort !
[1]Cette expérience a inspiré un livre, puis un film, en 2008 : « La vague »